LE
GOUT RESTE LE FACTEUR
PREMIER
[Directrice
du département
consommation du Crédoc]
En ces
temps de difficultés
économiques,
la morosité pourrait
gagner les consommateurs.
Mais en matière
alimentaire, le plaisir
reste malgré
tout une donnée
incontournable.
Les
inquiétudes des
consommateurs sur le
pouvoir d’achat
relèguent-elles
au second plan la notion
de goût dans l’alimentation
?
Pascale Hébel
: Il est vrai que nous
n’avions jamais
connu une inflation
aussi forte depuis 1984
et que cette dernière
encourage les consommateurs
à arbitrer davantage
à l’intérieur
du poste alimentaire.
Mais, si l’on
observe qu’ils
vont de plus en plus
vers des produits moins
chers, cela ne remet
pas en cause le fait
qu’un consommateur
reviendra, de toute
façon, vers un
produit si celui-ci
lui a plu. Après
le premier achat, c’est
bien là le premier
critère de ré-achat.
Dans
la morosité
ambiante, le plaisir
gustatif peut-il donc
redonner plus de valeur
à l’acte
alimentaire ?
P. H. : En
matière de
plaisir, je crois
qu’un courant
est en train de naître.
Beaucoup de gens commencent
à saturer des
discours hygiénistes
et des interdits,
qui ont remplacé
le “tout est
permis” d’après
mai 68. Il faut remettre
du positif dans l’alimentation,
c’est ce qui
fera sa valeur ajoutée.
D’ailleurs,
on constate que certains
secteurs qui occupent
ce créneau
s’en portent
bien, par exemple
dans la charcuterie,
les boissons ou même
le chocolat. Or leur
message reste fondé
sur le plaisir.
La
vague nutritionnelle
ne va-t-elle pourtant
pas à l’encontre
de cette recherche
de plaisir dans l’alimentation
?
P. H. : La
montée des
préoccupations
en matière
de santé est,
en effet, un phénomène
important. Il faut
préciser toutefois
que les aliments santé,
allégés
ou enrichis, fonctionnent
mieux aujourd’hui
que dans les années
1990, précisément
parce qu’ils
ne souffrent plus
du même déficit
gustatif que par le
passé. Le goût
reste donc le facteur
premier qui fait qu’un
produit est adopté
par la population.
D’ailleurs,
même les nutritionnistes
s’accordent
à dire qu’il
faut ressentir du
plaisir pour consommer
un aliment.
La
santé serait
donc l’alliée
du plaisir, et non
sa rivale ?
P. H. : En
réalité,
la culture du plaisir
dans l’alimentation
est un phénomène
assez récent.
Longtemps, les religions
ont assimilé
la gourmandise au
péché.
Au début du
XIXème siècle,
nous avions déjà
connu une politique
très hygiéniste.
Depuis quelques années,
l’enjeu nutritionnel
s’est affirmé.
Mais il ne remet pas
en cause la recherche
gustative. En revanche,
les restrictions nutritionnelles
auront sans doute
des conséquences
sur l’évolution
des préférences,
comme la diminution
du taux de sel dans
les produits sur la
tolérance au
goût salé.
Cela avait déjà
été
le cas avec l’amertume
qu’on a limitée
et qui est maintenant,
de ce fait, beaucoup
moins appréciée.
L’industrialisation
des produits alimentaires
a-t-elle, pour sa
part, réduit
la palette des goûts
?
P. H. : Je
ne crois pas. Notamment
parce que les industriels
sont obligés
de se différencier.
L’essor des
plats préparés
a permis de diffuser
d’autres types
de saveurs. L’arrivée
des produits exotiques
a ouvert vers des
goûts plus épicés.
Dans le cas des légumes,
on pourrait penser
que la sélection
végétale
homogénéise
certains goûts,
mais ce n’est
pas le cas de la pomme
de terre, par exemple,
qui s’est plutôt
diversifiée.
Et l’on remet
au goût du jour
des variétés
de salade comme la
roquette. De même,
pour les pommes, côté
fruits. On trouve
aussi maintenant des
pains de toutes sortes.
Et les pizzas ou les
sandwiches, très
prisés des
jeunes, proposent
de nombreuses recettes.
Propos recueillis
par
Benoît
JULLIEN